Ils sont donc des centaines de maîtres-artisans à exercer ce métier dans la ville des alizés. Si chacune des villes marocaines se distingue par son artisanat, les produits du bois de thuya ont fait la renommée de cette cité depuis de longues années. Tous les maîtres-artisans, eux, sont concentrés dans l'ancienne médina. En effet, la marqueterie est une activité économique importante dans la ville, tant au niveau de la main-d'œuvre qu'elle emploie qu'au niveau des chiffres d'affaires réalisés. Les touristes étrangers ainsi que ceux nationaux sont très friands des articles faits en bois de thuya. Cette activité connaît donc une forte demande, notamment durant la période estivale. Et c'est aux rythmes de la musique gnaouie que les «maâlems» travaillent dans leurs échoppes. Chakib, la quarantaine bien consommée, est menuisier depuis plus de vingt ans. Dans sa famille, ce métier est transmis de père en fils. «Mon père et mon oncle étaient tous les deux des maîtres artisans. C'est d'ailleurs eux qui m'ont appris toutes les techniques du métier.
La marqueterie de thuya fait partie intégrante des traditions à Essaouira», explique-t-il. Pour ce dernier, la journée de travail commence tôt dans la matinée et ne se termine qu'à l'approche de la prière du Maghreb. Chaque article fait du bois de thuya est considéré par Chakib comme une pièce d'art. Bien évidemment, la marqueterie demande du savoir-faire, du tact et surtout de la patience car la fabrication de quelques articles seulement peut prendre plusieurs semaines de dur labeur. «Tout est fait à la main. Du découpage jusqu'au montage en passant par le décor des articles. Le bois du thuya est largement utilisé par les artisans. Il provient des environs d'Essaouira et Agadir», explique Lahcen, un jeune menuisier à la médina. Et d'ajouter: «Toutefois, certains menuisiers commencent à utiliser le bois du noyer. L'introduction de matériel sophistiqué a considérablement réduit la durée de la fabrication.
La demande du bois a, de facto, grimpé en flèche, au point qu'on est obligé de chercher du bois d'autres régions plus au moins lointaines, notamment Khémisset et Oujda». L'introduction des machines a donc révolutionné le métier des artisans. Certes, des points positifs ont été introduits à l'activité des artisans mais ces derniers relèvent également quelques aspects négatifs. «Les ateliers équipées de machines modernes inondent le marché local de produits à des prix bas. Ces dernières années, l'offre dépasse de loin la demande. Cette situation a eu pour principale répercussion la baisse des revenus des artisans qui n'ont pas d'autre choix que de baisser les prix.
D'une manière générale, les prix démarrent à 10 DH pour des petits décors et peuvent atteindre jusqu'à 20.000 DH pour de grands meubles faits entièrement en thuya. Les trois mois d'été constituent pour les artisans une haute saison où ils parviennent à écouler une bonne partie de leur production. Le tourisme est un important moteur du secteur, puisque les recettes des produits vendus, notamment dans les souks, permettent à de nombreuses familles de subvenir à leurs besoins. «Les prix varient selon le matériel utilisé. Certains articles sont ornés de coquillages. La fabrication de ce genre de produits nécessite plus de temps. Ils sont donc commercialisés à des prix plus élevés», affirme un artisan. La majorité des maîtres artisans montrent du doigt essentiellement le déséquilibre qui existe entre l'offre qui dépasse de loin la demande. Pour de nombreux vendeurs, le secteur vit une véritable anarchie. Ce qui se répercute négativement sur les artisans. Pour faire face à leurs difficultés, de nombreux artisans se sont constitués en associations. Mais cette option a très vite montré ses limites. «Nous nous sommes retrouvés avec de nombreuses associations. Actuellement, je peux dire que chaque quartier compte une association. Il est certain que tout le monde à le droit de créer une organisation mais ''l'action s'est dispersée finalement''.
C'est pour cette raison que les responsables doivent apporter des solutions à notre activité pour assurer sa pérennité», déclare un apprenti. Par ailleurs, les artisans rencontrent des difficultés pour assurer la matière première nécessaire à leur activité. L'exploitation du bois de thuya est devenu très réglementée par les autorités. Ce durcissement a été instauré par la constatations d'un net recul de la superficie du thuya, notamment dans la région d'Essaouira. Cette situation a provoqué un coût supplémentaire pour les menuisiers qui doivent acheter du bois dans d'autres régions. C'est dire que l'activité de la marqueterie, tout comme d'autres activités artisanales, fait face à plusieurs problèmes. Pourtant, le gouvernement avait lancé quelques années auparavant une ambitieuse stratégie pour la mise à niveau du secteur de l'artisanat. Baptisée Vision 2015, cette stratégie se décline en plusieurs axes. En effet, cette stratégie nationale de l'artisanat vise à répondre à un double objectif. D'une part, adopter une politique pour créer suffisamment de nouveaux emplois. D'autre part, illustrer le nouveau rôle de l'administration qui doit passer d'une administration de gestion à une administration de développement.
Le rôle de l'Etat consisterait à choisir les axes de développement et orienter et encadrer les acteurs privés. Cette stratégie de développement du secteur résulte d'une démarche d'analyse poussée qui a nécessité plusieurs mois de travail (chiffres-clés du secteur, recensement de tous les opérateurs existants, diagnostic, plan d'action détaillé, etc). Elle s'inscrit également dans le cadre du plan Emergence qui a identifié les différentes branches d'activités économiques que le Maroc gagnerait à développer comme locomotives pour l'exportation. Cependant, les artisans ne savent pas beaucoup de choses sur la Vision 2015. Ainsi, un grand effort de sensibilisation reste faire en leur faveur. ------------------------------------------------------------------
| |